Les amis de la reliure

d'Art de Touraine

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Les amis de la reliure de Touraine et Melle Chevert, diplômée de l'UCAD 

(Union Centrale des Arts décoratifs, Paris XVI) 

 réalisent les restaurations de vos ouvrages 

dans le respect du passé et du travail artisanal.

Elle propose également des cours 

pour mieux comprendre ces techniques de reliure et de dorure


 

Quelques éléments d'histoire de la reliure :

 

(extrait du livre d'Annie  Persuy-Sun Evrard, La reliure, Denoel 1983)

 

 

 

LA RELIURE EN FRANCE

 

AVANT LE XII° SIÈCLE

DU XII au  XIVe SIÈCLE

LE XVe SIÈCLE

LA RENAISSANCE : LE BEAU XVIe SIÈCLE

LE XVIIe SIÈCLE

LE XVIIIe SIÈCLE JUSQU'A LA RÉVOLUTION

LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

LE CONSULAT ET L'EMPIRE

LA RESTAURATION

LA PÉRIODE 1840-1880

LA PÉRIODE CONTEMPORAINE

 

    


AVANT LE XII° SIÈCLE

 

    Les livres sont extrêmement rares et chers. Ils sont copiés dans les scriptoria des monastères et, si le corps d'ouvrage est fait par le moine « ligator », la reliure est plutôt le fait des orfèvres ou des ivoiriers. La couture sur nerfs s'est généralisée (premier exemple à Fulda en Allemagne au ville siècle). On coud sur des nerfs doubles, puis sur des nerfs fendus. Les extrémités de ces nerfs sont passées dans des encoches ménagées dans l'épaisseur des deux lourds ais en bois qui servent de couverture et maintiennent ainsi solidement l'ensemble. 

    Les tranchefiles débordent parfois sur les ais et on leur adjoint une patte de renforcement en cuir. 

    Les dos sont plats, le cuir n'y est pas collé et tous les volumes sont munis de fermoirs et de courroies, le parchemin ayant tendance à gondoler et à gonfler. Presque tous les livres avaient quatre cornières en métal ou quatre clous, les bouillons, et un gros clou central, l'ombilic, pour éviter l'usure de la couverture.

      Les reliures sont faites en tout ou en partie avec un gros cuir très rude : mouton, truie, cerf ou daim à peine aminci ou avec du parchemin. Le cuir étant trop fruste pour être décoré, les belles reliures sont donc 

- en étoffe : velours, brocart, camelot;

- en bois incrusté de pierres précieuses, de plaques d'ivoire;

- en métal précieux orné de sculptures et de gemmes. II ne reste rien en France des reliures d'orfèvrerie antérieures au IXe siècle. Pendant la période carolingienne, la grande vogue fut les plaques d'ivoire messines ou les plaques antiques enchâssées dans un cadre d'orfèvrerie puis, au Xe siècle, il y eut beaucoup d'ensembles d'autel, vases sacrés et reliures dans le même style et aussi richement décorés.

 

DU XII au  XIVe SIÈCLES

      L'essor économique du XII siècle va provoquer un renouveau artistique. Les relieurs ne sont plus simplement dans les monastères mais s'installent près des universités et sous leur contrôle. Une clientèle instruite se crée qui va demander des livres à la fois plus petits, plus simples et plus soignés.

  LES RELIURES D'ORFÈVRERIE

      Elles sont décorées par les émailleurs de Limoges associés aux orfèvres. Le dernier ensemble d'orfèvrerie et le plus beau sera l'Évangéliaire de Charles V réalisé pour la Sainte Chapelle en 1379.

  RELIURES DE CUIR DÉCORÉ

      Le cousoir apparaît, ou du moins se répand, les ais de bois s'affinent et, à la fin du XIII siècle, on commence à utiliser les ais de carton dont le premier exemple se trouve à Troyes sur le Dictionnaire en papier du prélat Guy de Roye (1345-1409).

      On utilise deux procédés pour décorer le cuir des reliures

  - la ciselure, qui consiste à graver sur le cuir assoupli à l'eau chaude un dessin à l'aide d'un poinçon entaillant légèrement la fleur;

- l'estampage, qui utilise la pression de blocs de buis gravé en creux et en relief, laissant leur empreinte sur le cuir humidifié, pour réaliser ce qu'on appelle le « tirage à froid ». Ce terme d'estampage a été conservé quand on a employé au lieu de bois un petit bloc de fer ou de cuivre gravé et emmanché : le fer à dorer.

    Le titre des livres est souvent écrit ou peint à la main sur la tranche, ce qui permettait d'identifier le livre posé à plat. Les premières tranches teintées ou décorées au pochoir et ciselées apparaissent. À Anvers en 1250, puis à Bruxelles vers 1350 sont gravées les premières « plaques » de reliure : larges fers qui faciliteront la décoration des plats, elles sont à sujet religieux. Pratiquement tous les décors de fers antérieurs au XV siècle sont exécutés avec des fers dits « monastiques » dont le dessin était gravé en creux sur le fer. Le motif apparaissait en relief sur un fond de cuir écrasé et noirci. Les fers sont d'inspiration religieuse ou chevaleresque.

    Les ateliers se multiplient et le décor, bien qu'assez monotone, devient recherché (bibliothèque du prince Henri 1121-1175) et sur certaines reliures du XIII siècle on trouve des empreintes dorées à l'or liquide (Psautier de Beauvais).

      À partir du XIV siècle, on se met à utiliser le veau lisse ou le cuir de bœuf, parfois teints en rouge ou en vert. Faits importants : amorce sous Charles V (1338-1380) d'une Bibliothèque royale dans la Tour de la Librairie, au Louvre; début de la bibliophilie avec la collection du duc de Berry, frère du roi. 

LE XVe SIÈCLE 

    On commence à employer le papier avec moins de réticences pour faire des livres et Gutenberg imprimera sa première Bible à la fois sur parchemin et sur papier. Pourtant, pendant environ soixante-dix ans, de 1450 à 1520, le livre hésitera entre la copie des manuscrits ou la création d'un style nouveau du livre imprimé: les premiers ouvrages imprimés sont appelés des incunables. II faudra aller vite, car si les éditions manuscrites se comptaient par centaines dans les meilleurs cas, le besoin de livre est tel qu'on a pu recenser quelque vingt millions d'exemplaires imprimés entre 1450 et 1500 en Europe.

  TECHNIQUE 

    Très bon corps d'ouvrage; tous les dos sont à nerfs saillants (5 à 7 suivant le format). Le cuir est du veau brun ou de la basane. Après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, des ouvriers gréco-byzantins vont se louer en Europe et réintroduire la couture « à la grecque » dans laquelle la ficelle de soutien de la couture n'est pas apparente pour former des « nerfs ». Cette ficelle se loge dans des encoches faites à la scie dans l'épaisseur du dos : les «grecques». Cette couture ne sera autorisée officiellement en France qu'en 1750 mais elle sera quand même pratiquée avant cette date. 

INNOVATIONS 

    Les premières plaques gravées apparaissent en France vers 1480.Elles permettent de décorer le centre des plats d'un seul coup dans la presse à balancier. De petites dimensions au début, elles sont entourées de motifs répétitifs faits à la « roulette ».

    La roulette est un cercle de métal tournant librement sur un axe dont les extrémités sont fixées sur un étrier monté sur un manche en bois. La bordure du cercle avance en roulant sur le cuir en y laissant la trace d'un filet plus ou moins large ou d'un motif gravé qui se répète régulièrement.

      Ces deux inventions répondent au besoin d'une décoration rapide et pourtant raffinée nécessitée par le nombre croissant de livres imprimés et le goût des amateurs.

  DORURE 

    Une reliure exécutée pour Charles V vers 1484 et recouverte de cuir entièrement doré à la feuille est le plus ancien exemple français de reliure dorée que l'on connaisse.

      Cette technique, inventée par les Arabes et communiquée par eux aux Italiens, avait été révélée aux Français pendant les guerres d'Italie.

      Technique utilisée pour dorer : on enduit le cuir de blanc d’œuf; après un temps de séchage, on graisse légèrement la partie à dorer avec de l'huile d'amande douce pour retenir sur le cuir la feuille d'or que l'on y dépose. Sur cette feuille d'or, le doreur pousse son outil - fleuron, filet ou roulette - chauffé au préalable.

      Sous l'action de la chaleur et de la pression, le blanc d’œuf fixe au cuir l'or qui se trouve en contact avec les gravures de l'outil.

      Cette découverte qui va fondamentalement changer l'aspect des reliures ne sera vraiment exploitée qu'au XVI siècle. 

LA RENAISSANCE : LE BEAU XVIe SIÈCLE

      C'est une période de rare équilibre entre la qualité du papier, de la typographie, de la mise en pages et de l'illustration du livre et sa reliure. Pour arriver à cette réussite il a fallu, non seulement des artistes de génie, mais aussi l'ouverture d'esprit et l'aide efficace de mécènes, qu'ils soient royaux ou bibliophiles. Les rois Louis XII, François Ier, Henri II surtout et Henri III ont beaucoup obtenu de leurs relieurs. 

    Le modèle des bibliophiles est sûrement Jean Grolier (1479-1565) : mis en rapport par son père avec le monde italien du livre, et vivant autant en Italie qu'en France, il sut soutenir l'atelier d'Alde Manuce à Venise et introduire en France la technique nouvelle de la dorure à la feuille d'or. En montrant des modèles, en les faisant exécuter par les relieurs français, il contribua à la création d'un style tout à fait nouveau. A côté de lui et à la même époque il faut citer le connétable Anne de Montmorency et le médecin Thomas Mahieu qui furent aussi de grands « amateurs » de beaux livres, ainsi que l'historien J.A. de Thou. 

LA TECHNIQUE NOUVELLE 

    La dorure sur tranches est réalisée à l'aide du « bol d'Arménie », argile rougeâtre, et de blanc d'oeuf. La feuille d'or est déposée sur cet apprêt humide, on la fait ensuite briller à la pierre d'agate. 

LES DÉCORS 

    Ils vont être plus faciles à réaliser sur le maroquin de Cordoue, cuir de grande qualité qui arrive en France à partir de 1536 et peut-être avant. 

- Les décors à froid à l'aide de fers ou de plaques sur des couvrures en veau. Les plaques qui sortent de l'atelier d'André Boulle se font remarquer pour leur beauté et la netteté de leur gravure. L'iconographie est le plus souvent religieuse mais comporte aussi des emblèmes, des devises ou des motifs de fleurs ou de fruits.Petit à petit, des fleurons dorés se mêlent aux motifs à froid.

  - Les décors italianisants de fleurons dorés ou argentés dans des encadrements de filets, des motifs d'arabesques, des armoiries.

  - Les décors géométriques du type rectangles-losanges entremêlés réservant au centre un cartouche enfermant des armoiries ou une légende et peu ou pas de fleurons; ou bien de libres volutes au filet ponctuées de fers azurés, comme le fameux « fer au trèfle » . Les décors géométriques s'enrichissent souvent de rehauts de couleur dus à des vernis ou à des cires colorées.

  - Les décors mosaïqués commencent à apparaître dans les livres reliés pour François Ier, et surtout sur les reliures de grand format commandées par Henri II : ce sont des pièces de cuir très aminci de couleurs différentes, découpées et serties sur le cuir de fond, puis cernées au filet, qui occupent le cartouche central ou animent les compositions, créant ainsi des décors d'une grande richesse.

  - Le décor « à la fanfare ». II naît vers 1560 et ne sera dénommé ainsi qu'au XIX siècle. II est formé de compartiments géométriques dessinés sur les plats et le dos est plus ou moins garni de volutes et de branches de feuillage aux petits fers sauf un ovale central laissé libre. - Le décor au « semé» dans lequel la reliure souvent en parchemin est entièrement garnie de fleurs de lis et d'initiales régulièrement disposées, avec parfois l'empreinte d'une plaque centrale d'entrelacs ou d'emblèmes.

 

LES GRANDS RELIEURS 

    Pierre Roffet exécuta les reliures pour Louis XII et pour François ler. Son fils Étienne Roffet, relieur du roi, fit d'élégantes reliures géométriques rehaussées de cires polychromées pour François le, et Grolier. 

    Claude de Piques travailla pour Catherine de Médicis-, son nom est lié au « fer au trèfle » et au décor de gracieuses arabesques qu'il réalisa.

      Nicolas Ève est connu pour ses reliures « à la fanfare » et celles décorées d'emblèmes religieux ou funèbres, dorées ou argentées, exécutées pour le roi Henri III. Sont restées également célèbres ses reliures à semé de fleurs de lis avec la colombe du Saint-Esprit gravée dans les écoinçons.

      Pendant toute cette période les dos sont généralement à nerfs et le titre, souvent abrégé, est doré, pas toujours régulièrement. Dans les reliures en parchemin le dos ne présente jamais de nerfs. Les très belles reliures en maroquin mosaïqué sont encore rares, on utilise plus couramment le veau fauve.

      II faut noter aussi la réapparition momentanée des clous de protection et des bourrelets de protection des tranchefiles pour les volumes de grand format.

  LE XVIIe SIÈCLE

    C'est une époque de très grand développement de l'édition. Presque tous les livres sont reliés, souvent en veau brun de médiocre qualité. Seuls les dos sont ornés dans les entre-nerfs délimités par des filets ou des roulettes, par des fers d'angle triangulaires et un fleuron central en losange inspiré de dentelles filigranées. Les tranches sont rouges ou bleues et on commence à employer le papier peigné ou marbré pour doubler les plats. La grande majorité des livres sont cousus sur nerfs. Les titres sont dorés mais encore de manière hésitante.

     La majorité des reliures décorées le sont d'une façon très simple: un encadrement de trois filets ou d'une roulette ornée, avec au centre les armoiries du possesseur. Quelquefois, on ajoute un fleuron dans les coins.

 

LA TECHNIQUE NOUVELLE 

    L'introduction des papiers marbrés en reliure, et le début en Hollande, de la marbrure sur tranche, appliquée seule ou sous la feuille d'or (1675). 

LES DÉCORS     

- Le décor « à la Duseuil » du nom d'un relieur qui ne travailla qu'un siècle plus tard. Ce décor comporte un premier encadrement de trois filets dorés rapprochés tout au bord du plat. Un second encadrement est poussé beaucoup plus à l'intérieur. Quatre gros fleurons ornent les coins, soit entre les deux groupes de filets d'encadrement, soit plus à l'intérieur. Ce décor sera •< classique » au xvile siècle et ornera la plupart des livres de fond des grandes bibliothèques. Pour les reliures d'art, il se complique : les filets extérieurs se doublent d'un encadrement de roulette. Les filets intérieurs s'interrompent pour laisser la place à des portions de cercles enrichies de fers pointillés, le centre du plat portant un cartouche quadrilobé autour d'un titre ou des armoiries. 

- Le décor « à compartiments géométriques». C'est toujours le décor « à la fanfare » mais compliqué et enrichi de fers en spirales pointillées au point de remplir complètement la surface à l'exclusion du cartouche central. Quelques rares reliures à compartiments présentent des motifs mosaïqués. 

- Le décor « à l'éventail ». II présente au centre du plat des motifs rayonnants en fers pointillés, les mêmes motifs se retrouvant en quart de cercle dans les angles donnant un ensemble très riche. 

- Le décor au « semé » qu'on rencontre toujours. 

- Le dos « à la grotesque ». Le dos est entièrement décoré de petites spirales avec une interruption pour le titre et des encadrements de filets.  Les plus belles reliures sont doublées de maroquin orné, et on trouve encore beaucoup de reliures de vélin blanc à plats souples ornés de décors variés. 

- La reliure « janséniste ». Elle apparaît à la fin du siècle et présente des plats en maroquin sans décor, parfaitement exécutés; seule la doublure est ornée et dorée. 

- La « dentelle du Louvre ». C'est un encadrement de larges feuilles entourant des branches, doré au balancier et réservé aux reliures royales.

LES GRANDS RELIEURS 

    Clovis Ève succède à son père comme relieur royal jusqu'en 1634 et travaille pour Henri III pour qui il exécute des « fanfares » et des reliures à semis. Macé Ruette, nouveau relieur du roi, est célèbre pour avoir introduit en France la technique des papiers marbrés et peignés. II fit de très belles reliures « à la Duseuil » que son fils Antoine Ruette embellira encore en leur donnant un aspect filigrané très élégant. Florimond Badier. On lui doit de très riches reliures au décor mosâiqué très exubérant et aux couleurs vives rouge, citron, olive, brun. Les tranches sont marbrées sous or. Luc-Antoine Boyet orne ses reliures d'une très fine dentelle à la roulette au bord des plats et présente des reliures jansénistes d'une grande perfection avec une doublure finement ornée.

      Le Gascon, reçu maître en 1622, doreur d'une grande virtuosité dont on connaît beaucoup de très belles reliures ornées de fers pointillés qui donnent le ton des reliures de ce siècle, dont la fameuse « Guirlande de Julie ». Tous ces grands relieurs ont travaillé pour le roi et pour des bibliophiles dont François-Auguste de Thou et Claude de Peiresc.

  LE XVIIIe SIÈCLE JUSQU'A LA RÉVOLUTION 

    C'est une période privilégiée pour le livre. Les grands textes, mis en valeur par une typographie très belle sont illustrés par une gravure en taille-douce qui connaît son âge d'or. Les amateurs de beaux livres se multiplient. Le faste et l'apparat de cette époque se reflètent dans le style des reliures de luxe. Mais, parallèlement à ces réalisations de grand prix, on trouve une quantité toujours croissante d'éditions plus simples avec des couvertures économiques en papier jaspé bleu ou en papier marbré, ou bien en un veau de qualité médiocre; on le granitait ou on le « jaspait » avec une encre souvent acide pour en masquer les imperfections. Les demi-reliures essentiellement en basane jaspée se répandent. Les beaux livres sont reliés en veau blond ou en maroquin rouge, olive, bleu ou citron. Ce maroquin n'avait pas encore le « grain » qu'on lui connaît actuellement. Apparition de la pièce de titre en maroquin de couleur contrastée. Les gardes sont en papier décoré mais, pour les reliures de luxe, on utilise de la soie moirée rose ou bleue ou du maroquin à décor. Les tranches sont peintes en rouge ou en bleu parfois marqué de blanc, dorées ou marbrées.

      Autorisée en 1750, la couture sans nerfs se généralise mais, même plats, les dos restent divisés en compartiments simulant les nerfs et ornés d'un riche décor doré, ou ils sont « à la grotesque ».

  LES DÉCORS 

    Le décor qui caractérise le XVIII siècle est le décor « à la dentelle ». Sur un encadrement de fines roulettes ornées en « dents de rat » ou en simples filets, on pousse des petits fers les uns à côté des autres pour former une « dentelle » qui va s'élargissant dans les angles et au milieu de chaque côté, le centre des plats étant réservé aux armoiries. 

    Les fers qui composent ce décor sont nouveaux et en plus des fleurettes, coquilles, fleurs et feuilles stylisées, on trouve des fers figurés : un oiseau qui sera considéré comme la signature de Derome le Jeune, une tête de profil, des emblèmes divers.

      Tous ces motifs sont empruntés à la broderie plus qu'à la dentelle et rendent compte des thèmes essentiels du style Louis XV. Ce style s'est développé sous la Régence où l'on abandonne les décors souvent solennels à la mode sous Louis XIV pour en venir à des formes plus gracieuses.

      On fait alors des reliures à compartiments mosaïquées et beaucoup de reliures à plaques, les fers « plein or », qui orneront des reliures de luxe « en série » pour les livres des fêtes et les almanachs royaux.

  LES GRANDS RELIEURS 

    La corporation des relieurs-doreurs remonte à 1686, date à laquelle elle se sépare des maîtres-imprimeurs et libraires. Pourtant le niveau de la profession va baisser pendant tout le xviiie siècle, ce qui favorise la vogue de l'« anglomanie » poussant plusieurs collectionneurs à faire relier leurs livres à Londres. Jusqu'à la Révolution, les principaux relieurs appartiennent tous à trois puissantes dynasties dont chacune a donné, du XVII au XIX siècle, quinze à vingt noms à l'art du livre français. Ce sont les Padeloup, les Le Monnier et les Derome.

    Les Padeloup : Antoine-Michel est le plus célèbre (1685-1758). II signe ses oeuvres, ce qui est encore rare, et est l'auteur de reliures mosaïquées à compartiments géométriques pour un collectionneur célèbre, le comte d'Höym. Dans son atelier et dans celui de ses successeurs naîtra le décor à la dentelle. Elles seront dorées avec des « fers gras » imités de la broderie, avec des coquilles aux angles, et déjà un oiseau voletant. 

    Pierre-Paul Dubuisson : nommé relieur du roi en 1762, il se spécialisera, comme Padeloup, dans les grandes reliures à plaques.

      Les Le Monnier : spécialistes de reliures mosaïquées au décor recherché et étrange dans le goût pastoral ou chinois.

      Les Derome : Jacques Antoine, reçu maître en 1728, auteur de très belles mosaïques. Nicolas Denis, son fils dit le Jeune, est célèbre pour la qualité de ses « dentelles », encore plus légères et fines que celles de Padeloup.

      Au milieu du décor se glisse, comme une signature, le fameux fer « à l'oiseau ».

      Sous Louis XVI on commence à voir poindre un style nouveau fait de rigueur et de sobriété. Le genre des ornements dorés se modifie, devient plus léger. Sur les plats sont poussés des encadrements de pointillés et de motifs simples : rectangles, losanges, ovales, grecques, urnes. Le relieur Bradel a rapporté d'Allemagne un type de reliure-cartonnage qui fait son chemin et on assiste à l'industrialisation de la reliure. Le maroquin « à grain long » venant d'Angleterre fait son apparition.

 

LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE  

    La reliure de luxe va pratiquement disparaître. La demi-reliure se généralise. Les papiers de plat sont des papiers « à la colle » de couleur généralement unie. Les armoiries poussées au centre du volume ont disparu et sont remplacées par des emblèmes révolutionnaires. Le cuir est médiocre et l'exécution en général mauvaise. Les grandes innovations de cette époque sont l'introduction de planches en couleurs dans les livres et le titrage des livres en grandes capitales Didot, marquées de façon très nette contrastant heureusement avec les titrages antérieurs. 

    Le meilleur relieur que nous connaissions de cette période est Bradel-Derome, neveu de Derome, qui signa des reliures simples, en veau ou en maroquin à grain long, ornées de simples encadrements de roulette aux bords des plats et sur les dos sans nerfs.

  LE CONSULAT ET L'EMPIRE

      La manière la plus répandue de relier sera la demi-reliure ou le cartonnage. Le veau est surtout utilisé dans le ton fauve et dans des tons rares : rose, gris, lilas. Les plus belles reliures sont en général en maroquin anglais mince à grain long en quatre couleurs principales : rouge clair, bleu nuit, vert empire et citron. Les plats sont souvent ornés seulement d'encadrement à la roulette où apparaît le formulaire décoratif du style Empire : grecques, sphinx, lyres, urnes, personnages à l'antique, branches de chêne ou de laurier.

  LES GRANDS RELIEURS 

    Ce sont les frères Bozérian : l'aîné travaillera jusqu'en 1814 et le jeune sera actif de 1804 à 1817. Le corps d'ouvrage s'améliore et si on relie souvent «à la manière anglaise » - tranches décorées d'un paysage qui n'est visible que lorsqu'on ouvre le livre - , on recommence à utiliser des fleurons «à froid » sans or dans les angles, amorce du style de copie des reliures qui sera courant au XIX siècle.

      Les dos sont toujours divisés en compartiments par des roulettes à la place des nerfs : des compartiments nus renferment les titres, grands et clairs, les autres sont ornés de petits fers autour d'un point central, sur un fond de pointillé d'or. La mosaïque apparaît sur le dos seulement dans les reliures de luxe et les gardes sont en tabis ou en moire. Les plats sont décorés de losanges entrecroisés ou de filets en rectangle et losange se coupant...

      Les progrès de la chimie permettent de décorer certaines reliures en « vernis Martin », figurines ou bouquets se détachant sur un fond coloré.

  LA RESTAURATION 

    Le style Empire va se maintenir quelque temps : encadrements à la roulette et dos divisés en compartiments pointillés d'or. A partir de 1819, les expositions consacrées spécialement à la reliure vont se multiplier et permettre de mieux suivre l'évolution du style des grands relieurs. On constate que la technique s'améliore et qu'une mode moins sèche se fait jour.   

    Le maroquin et le veau glacé prennent des teintes nouvelles : gris, lilas, rose, feuille-morte (le maroquin « Lavallière ») et violet. Au maroquin à grain long se substitue souvent le maroquin à grain rond et le veau lisse avec des gardes et même des contre-gardes en cuir.

      Des plaques finement gravées servent à orner tout ou partie de la reliure de luxe. Elles sont pressées soit sans or, soit avec de l'or et d'éclatantes mosaïques pour les belles « reliures d'éditeur ».

      La demi-reliure gagne encore du terrain avec ses dos ornés et ses mors-peau étroits. Les fers « gras » succèdent aux fers grêles Empire et on reprend la technique des fers monastiques pour faire des fers « à froid » dits « à gaufrer », gravés en creux, imprimant le décor en relief sur le cuir. C'est le triomphe du style « troubadour », on imite les reliures de Grolier, on fait les plaques « à la cathédrale », les reliures dans le style des Ève avec les nouvelles « fanfares » (le nom vient d'un ouvrage ayant appartenu à un célèbre bibliophile, Charles Nodier), on imite les tapis de la Savonnerie en adaptant des décors orientaux.

 

LES TECHNIQUES 

    Ce sont celles du livre romantique. La technique du « dos brisé » dans laquelle on ne colle plus le cuir directement sur le dos du livre mais sur une carte tenant légèrement à lui a été généralement adoptée depuis le milieu du XVIII siècle. On utilise largement la couture à la grecque et les faux nerfs.

      Un genre nouveau apparaît : le dos à quatre nerfs et la tranchefile plate, le dos faiblement arrondi et les nerfs peu apparents.

  LES GRANDS RELIEURS 

    Thouvenin, connu depuis 1814, fit beaucoup de copies de reliures anciennes pour Charles Nodier et fut célèbre pour la solidité de son « corps d'ouvrage ».

   Simier, relieur du roi et de la duchesse de Berry.

  Bauzonnet s'établit en 1830. Doreur extrêmement habile, il créa le dernier style original de début du siècle : les encadrements et les jeux de filets droits qui s'entrelacent pour former des rectangles ou des losanges, ou des décors mêlant filets et fleurons.

  LA PÉRIODE 1840-1880

      De 1840 à 1880 environ, c'est la période de la copie et du pastiche. Si la reliure industrielle est dans une phase très créative et produit ces belles reliures d'éditeur que nous admirons aujourd'hui, la reliure de luxe, méprisant les acquis de la science et du progrès, n'apprécie que le style ancien. Les copies sont d'ailleurs d'une grande perfection un peu raide : on veut rendre le beau « encore plus beau ». Les relieurs qui satisferont le mieux ce désir auront une popularité énorme. On peut citer Trautz. II s'est rendu célèbre pour ses copies de reliures filigranées du XVIII et l'éblouissante maîtrise de ses dorures. À côté de lui, mais de moindre envergure, Lortic, Chambolle-Duru, Canape et Cuzin qui fit beaucoup de reliures dans le style Louis XV, d'une splendide perfection tant par la beauté du maroquin employé que par l'excellence du corps d'ouvrage et de la dorure.

    Lortic est réputé pour ses reliures très chargées, très luxueuses. II faut aussi citer un atelier fort célèbre : la maison Gruel, puis Gruel-Engelmann, qui se spécialisa dans les livres de messe dont certains étaient très luxueux. Dans cet atelier travaillait un doreur de grand talent qui copiait avec une admirable sûreté de main les reliures Henri II. C'était Marius Michel. II ouvrit avec son fils, Henri Marius Michel, un atelier de relieur d'art et c'est ce dernier qui obtint une première récompense à l'Exposition de reliure de 1878. Lentement, son style évolue sous l'influence probable des peintres-relieurs de l'école de Nancy ou celle de l'école anglaise de reliure - qui autour de William Morris, écrivain d'art et peintre du groupe des « préraphaélites », et du relieur Cobden-Sanderson renouvelait son inspiration -, et il en vint à créer des compositions végétales où toutes sortes de fleurs et de feuillages s'enroulent sur une structure très élaborée respectant la symétrie et les grandes règles de décoration des reliures. Le sujet de la décoration n'a pas encore de rapport avec le sujet du livre. Les teintes du cuir sont rares et recherchées, on grave de nouveaux fers en accord avec les besoins de « l'art nouveau » - c'est un des grands moments de la reliure. En même temps que Marius Michel on peut citer parmi les meilleurs : Charles Meunier-Noulhac, Petrus Ruban et Georges Canape.

 

L'ÈRE DES MAQUETTISTES 

    C'est la dissociation entre la création et la fabrication. Elle va se généraliser et l'entente parfaite d'un artiste concepteur avec un artisan de très haut niveau va produire des chefs-d'oeuvre. Pierre Legrain, décorateur qui ignorait tout de la reliure, a dessiné les reliures pour le couturier Jacques Doucet. Sous l'influence du cubisme il composa, à l'aide de tracés géométriques, un décor qui va d'un plat à l'autre de la reliure en passant par le dos. Autres innovations : la participation de la typographie au décor et l'emploi de matériaux inhabituels tels que nacre, galuchat, bois précieux, et de dorures avec du palladium, de l'or ou de la couleur. Les 1 236 reliures qu'il a dessinées, n'ont « pas en elles-mêmes une signification. Le plat d'un livre n'est qu'un frontispice qui en résume l'âme et nous prépare à sa lecture par le choix d'une nuance ou d'un signe ». 

    Rose Adler: enfin une femme! Elles étaient cantonnées jusque-là dans les ateliers aux travaux de débrochage, réparation, couture. Le grand relieur Cobden-Sanderson en Angleterre et l'impératrice Eugénie en France en fondant la section reliure de l'École des arts décoratifs et en l'ouvrant aux femmes permirent à ces dernières d'apprendre la totalité du métier... 

    Jacques Doucet remarqua les reliures que Rose Adler exposait en 1923 au pavillon de Marsan. Elle avait appris la reliure et la dorure dans l'atelier de Noulhac. II la chargea de relier pour lui et très rapidement elle ne fit plus que des maquettes, confiant la réalisation aux meilleurs artisans. Suivant sa phrase célèbre « la reliure est comme un écho monté du livre et faite sur un corps d'ouvrage sans déficience ».

      Au maroquin elle préférait le veau, dont les tons d'un rapport très subtil contrastaient avec des gardes en daim d'une autre nuance. Une grande sobriété dans le décor alliée à une grande harmonie la rapprochait des poètes dont elle aimait particulièrement relier les oeuvres.

      Paul Bonet (1889-1971) : modéliste de métier, il savait tout sur le dessin et la couleur, mais rien sur la reliure. II s'y intéressa d'abord pour ses propres livres puis, sollicité par des bibliophiles et mis en rapport avec les surréalistes, il se révéla vraiment.

      S'entourant des meilleurs réalisateurs, il ne cessa de se renouveler, donnant au « physique » du livre un habit tel que : « L'esprit, la vie intérieure qui sont prêts à se manifester au regard, aux lèvres, à l'intellect du lecteur, étaient préfigurés sous les espèces extérieures du vêtement» (P. Valéry).

      Suivant la voie ouverte par Pierre Legrain, son oeuvre abonde en recherches : reliures sculptées, reliures photographiques, reliures irradiantes par le seul jeu des filets dorés, reliures de nickel ou de duralumin. En 1946, on lui demanda de fonder avec cinq autres relieurs et douze bibliophiles la Société de la reliure originale qui s'est efforcée pendant de longues années de promouvoir, par des expositions nationales et internationales, cet art de la reliure bien souvent ignoré du grand public. À côté de ces grands noms, bien d'autres relieurs ont fait vivre ce métier dans la même période avec beaucoup d'éclat, que ce soit d'une manière plus traditionnelle comme : Georges Cretté, le disciple préféré de Marius Michel, Robert Bonfils, Henri Creuzevault. Ou bien, plus près du style moderne, le groupe travaillant avec François-Louis Schmied, René Kiefer qui fut un des relieurs de Legrain, Levitsky et ses luxuriantes reliures mosaïquées, Mercher et ses reliures profondément originales, et tant d'autres...

      Cette époque a compté de merveilleux doreurs qu'on oublie un peu : René Jeanne, André Arnoult, Giraldon, R. Mondange qui ont su faire passer à travers le cuir la vision du maquettiste, ce qui représentait souvent un périlleux exercice!   

LA PÉRIODE CONTEMPORAINE

 

    II est malaisé de parler de la période dans laquelle on vit. On peut simplement constater que la reliure, loin d'être un art oublié, menacé, sans résistance devant les nettes reliures de série, trop cher, etc. se porte bien. Les créateurs sont là, sensibles à l'air du temps qu'ils ont su capter et interpréter. 

    L'immédiate après-guerre a vu l'épanouissement de l'art de la reliure plus spécialement illustré par les artistes suivants 

    Pierre-Lucien Martin, au style plein de rigueur et de subtilité. Effets de relief donnés par des structures planes, mosaïquées, multicolores, emploi de matières inhabituelles comme le bois déroulé, oppositions de cuir, de reliefs et de matières différentes, sculptures de lettres, empreintes de cheveux, de dentelle, de feuilles...

    Germaine de Coster - Hélène Dumas: alliance exemplaire de la conception et de la réalisation dans de larges compositions mosaïquées de cuir de tons vifs, de métal, de maroquin déchiqueté, ornées de filet d'or, de palladium, d'oeser.

     Monique Mathieu : maquettiste de tout premier plan dans la reliure contemporaine autant sur le plan graphique que sur le plan de l'invention.

    Georges Leroux : créateur reconnu, utilise des matériaux hétéroclites dans un style nouveau. 

    Colette et Jean-Paul Miguet : ils conçoivent des maquettes d'un graphisme subtil; font des reliures d'une qualité technique rare et savent réaliser eux-mêmes les mosaïques et la dorure. 

    Michel Richard et Élisabeth Rossignol : dans leurs reliures s'allient un graphisme et une dorure de très grand niveau sur des livres illustrés souvent par Michel Richard dans un style profondément personnel et original. Alain et Paule Lobstein : un autre couple créateur qui se complète, l'une s'occupant du côté graphique du décor et l'autre des matériaux et de la réalisation de la reliure. 

    Claude Honnelaïtre : excellent relieur qui a des inventions très intéressantes sur le plan du graphisme et de l'utilisation des matériaux dans un sens très moderne. Renaud Vernier : relieur d'une très grande perfection technique. La particulière élégance de ses décors est fondée sur l'alliance du cuir et de matériaux divers, notamment des métaux.

    Roger Devauchelle : un des  grands  contemporains. Plusieurs fois meilleur ouvrier de France, à la fois concepteur et réalisateur de ses reliures. Dans son atelier modèle, tout est exécuté avec la plus grande perfection : de la restauration des livres anciens à la reliure moderne, de la marbrure à la dorure, du travail des tranches qu'elles soient « antiquées », peintes ou dorées - à l'exécution du décor le plus raffiné.  Roger Devauchelle est l'auteur d'une Histoire de la reliure en 3 volumes, malheureusement épuisée. 

    Jean de Gonet. C'est une nouvelle conception de la reliure d'art dans laquelle décoration et structure de la reliure s'interpénètrent et se mettent en valeur l'une l'autre.

      Nous ne pouvons parler ici que des plus « grands », en tout cas des plus connus, des relieurs français contemporains. Mais, en France et à l'étranger, existent des « Écoles » de reliure d'un grand intérêt, avec une multitude de relieurs qui font des créations intéressantes pleines de promesses, pour que vive et se perpétue l'art de la reliure.

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